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Ouverture : Leçon de choses
Juan Meteza, doyen de l’Université d’Altamira, se lève avec difficulté à l’entrée de son visiteur de marque, Don Diego Ruiz de Ontiveros, dirigeant du Rancho Soldano. - Restez assis, Juan. Je ne voudrais pas comparaître devant Théus avec la mort d’un de nos plus grand juristes sur la conscience. - Merci, Don Diego. C’est toujours une joie pour notre Université d’accueillir notre plus proche et plus puissant voisin Un sourire se dessine sur les lèvres du Don. Cette plaisanterie est devenue l’entrée en matière habituelle de leurs fréquentes discussions. Le Doyen ne manque jamais de rappeler que Altamira ne fait pas partie de son Rancho, étant officiellement placée sous l’autorité de l’Université, c’est à dire de l’Eglise et de Meteza lui-même. C’est ainsi que Don Diego se retrouve en « visite officielle »… à moins d’une heure de marche de ses terres. Mais des matières plus graves sont à l’ordre du jour. Le visage du Don s’assombrit. - Mon fils semble fort satisfait de votre enseignement… - Je vous remercie, Don Diego. C’est un réel plaisir d’avoir parmi nous une si noble personnalité, et si agréable et intelligente, de plus… Mais je suppose que ce n’est pas pour cette raison unique que vous êtes venu me voir ? - Non, en effet. Don Diego hésite à présent. Comment expliquer les choses au vieux Doyen ? L’homme est un des esprits les plus vifs de Castille, et probablement le meilleur juriste que la Castille ai connu depuis longtemps. Mais certaines questions pratiques lui semble entièrement étrangères. - Et bien… Disons que je voudrais solliciter une faveur. - Tout ce que vous voudrez, Don Diego. Comment pourrions-nous vous refusez quoique ce soit. La phrase manque toutefois de conviction. Les deux hommes sont mal à l’aise. - Je souhaiterai amener ici une petite garde pour mon fils. - Même si la chose m’est plus que pénible, je me doit de refuser. Les hommes d’armes, comme vous le savez, sont persona non grata dans notre ville. - Il ne s’agirai pas d’une armée, mais de quelques personnes de confiance. - La question, Don Diego, n’est pas la confiance que nous vous portons, qui reste pleine et entière… La question est liée à ceci. La voix du Doyen s’est faite plus claire, plus sûre. Il tend sa main osseuse et légèrement tremblante vers un mur de son bureau, où figure la charte de la ville, assurément la plus étonnante au monde. - Article 3 : Nul homme d’arme n’est admit à Altamira. Et ceci ne souffre d’aucun exception. Que serions nous si nous commencions à violer nos propres règlements ? - Il y a pourtant eu des exceptions… - Il y en a eu UNE, Don Diego. Et vous connaissez l’affaire comme moi. Violant tout les droits, ainsi que les ordres formels de son supérieur, un Inquisiteur a fait entrer chez nous une bande armée. Aux dernières nouvelles, il officie dans un petit village au sud du Rancho Gallegos. Et l’Inquisition n’a pas fini de nous payer son amende. La voix du petit homme s’est faite sèche, sous le poids d’une colère contenue mais encore rampante, au souvenir des évènements. Voyant que son entreprise est vouée à l’échec, Don Diego interroge le Doyen. - Bien. Qu’avez vous prévu, en ce cas, pour l’année prochaine ? - Qu’entendez vous par là ? - Juan, vous le savez comme nous tous. La guerre avec Montaigne est imminente. - Nous le regrettons, mais nous ne sommes pas des soldats. - Je ne parle pas de cela. Altamira est située sur la côte, proche de Montaigne. La guerre pourrait vous concerner plus que directement. - Mais nous sommes des chercheurs, des penseurs et des hommes de Théus ? Qui voudrait s’en prendre à nous ? Comment expliquer les choses simplement ? En le faisant, il sait qu’il plongera le Doyen dans la tristesse. Mais lui ouvrir les yeux est son devoir. - Mon ami, les militaires montaginois n’ont pas de respects pour vos œuvres. Tout ce qu’ils voient ici, c’est une côte non défendue, et une ressource vitale aisée à capturer. Si par malheur notre flotte ne peut les bloquer, ils seront ici dans deux, peut-être trois mois. - Mais nous ne pouvons violer la Charte. Jamais je ne pourrais m’y résoudre. - Théus fasse que l’avenir soit différent de celui que je vous ai dépeint, mais vous ne pouvez rester dans l’ignorance. Mon fils repart avec moi. Don Diego ressort, laissant le Doyen accablé. Appelant un de ses aides, il convoque une réunion de tous les professeurs et chercheurs d’Altamira. Derrières ses paupières, il voit déjà l’armée montaginoise, ses gens tués, les bibliothèques saccagées… Conscient d’avoir reçu de son vieil ami une terrible leçon de choses, le Doyen tourne son regard vers la fenêtre, vers le ciel - Théus, qu’allons-nous devenir ? |