Bénito
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Bénito : Les regards du passé

            Don Marco Ochoa esquive facilement un assaut du jeune homme, ripostant presque instantanément. Surpris, Alvaro Ochoa n’a que le temps de faire un bond en arrière pour éviter la rapière de son père. Don Marco sourit. Le garçon est bon, très bon même. Nul doute qu’il le battra avant ses dix-huit ans. Ecartant de ses pensées les noirs nuages qu’il entrevoit toujours quand il pense à son fils, le Don se sent empli de fierté pour la chair de sa chair.

            C’est l’été, et le soleil illumine tout Barcino. Pour la première fois depuis de longues semaines, Don Marco touche à nouveau au bonheur, même éphémère. Sa femme, la douce Maria, s’est retirée au monastère proche pour y être soignée, mais elle et lui savent que bientôt Théus la rappellera à lui. Alors ils reportent toute leur attention sur leur fils unique. Dans la fraîcheur du palais, en compagnie de son fils et de ses proches, Don Marco est heureux. Il en oublie presque leur entraînement, et seuls les automatisme pris bien des années avant à l’école d’Aldana le sauve d’un feinte osée, un mouvement dont il ne pensait pas son fils capable. Bientôt, il sera temps pour lui d’apprendre avec un Maître d’arme. D’autant que pour la Castille, l’avenir est sombre. Nul doute que Don Marco sera appelé à rejoindre les armées Castillane qui se préparent à une attaque imminente dans le Rancho Soldano. Il n’entend qu’a peine son fidèle maître d’hôtel entrer dans la vaste salle.

-         Don Marco, il y a un visiteur pour vous.

-         A l’heure de la sieste ? Vous me jouez un tour, Ernesto ? Bien, faites le entrer.

-         Il dit que c’est important, qu’il doit vous voir en privé.

-         Et bien il attendra, je suis occupé avec mon fils.

-         Il a dit que c’est à propos d’une après midi du printemps 1660, à Gajero.

La tête de Don Marco lui tourne… Gajero… Le printemps… Il ne se souvient que trop bien. Les souvenirs se bousculent…

 

1660. Don Marco est avec son fils, âgé tout juste de six ans. Toute la matinée, ils ont parcouru les terres du Rancho Silva. Ils ont parlés avec les paysans, ils ont partagé leur pain à midi. La journée est ensoleillée, et ni le Don ni son fils ne sont fatigués. Après la sieste, ils partent en balade dans les collines. Marco parle à son fils de leur terre, de l’amour qu’il lui porte, lui fait goûter les fruits juteux. L’enfant adore la nature et les animaux, à un tel point que Marco n’ose l’emmener à une corrida, de peur de sa réaction. Ils se promènent tranquillement, aux milieu des larges vergers du Ranchos, encore vide et calmes à cette heures. Près d’eux retentit le cri d’un animal, d’un cerf peut-être. Tout heureux, le bambin cours dans la direction. Riant, Don Marco fait mine de le poursuivre. L’enfant passe derrière un bosquet, le Don sur les talons. Point de cerf ici. Mais deux hommes en armes, portant des masques noirs. A l’époque, les « Bandailleras » sont des mercenaires connus des environs. Don Marcos a envoyé leur chef en prison peu avant. Il comprend vite la raison de la rencontre… La vengeance. Sa rapière est déjà dans sa main. Mais des cris lui parviennent : un des hommes tient le petit Alvaro, le menaçant d’un dague. Marco tente de contenir sa rage.

-         Au nom de Théus, lâchez-le, ce n’est qu’un enfant qui n’a jamais fait de mal à personne, et je vous promet que vous pourrez partir en paix.

-         Nous partirons effectivement en paix, mais avec lui, Don Marco.

-         Pourquoi vous en prendre à lui ? C’est à loi que vous en avez !

-         Il aurait fallu y penser avant, Don Marco. Reculez !

L’enfant hurle et gesticule dans tout les sens, mais l’homme le tient fermement. Don Marco est confiant en ses capacités martiales, mais il ne peut risquer la vie de son enfant. Les hommes s’énervent, rééditent leurs ordres. Marco ne bouge pas. Son jeune fils se démène dans tous les sens, au comble de la fureur. Don Marco n’oubliera jamais cet instant : le bandit tenant Alvaro hurle de douleur, et s’écroule, gravement brûlé. L’autre tente de lui venir en aide, mais Don Marco ne lui en laisse guère le temps, lui portant une attaque rapide. Au moment où le brûlé se retourne pour s’enfuit, un gerbe de flamme jailli de l’enfant. L’homme hurle une dernière fois. L’instant d’après ne reste que deux cadavres, le Don et son fils, qui semble auréolé de flammes. Il lui semble entendre comme des bruits de pas légers mais précipités. Quand le Don s’approche, il ressent clairement la chaleur, et ne comprend que trop bien… El Fuego Adentro… Le sang maudit coule dans les veines de son fils, de sa femme aussi probablement. Son fils semblant à nouveau calme, les flammes disparues, Don Marco le serre dans ses bras, jette de la terre sur les cadavres, et s’en retourne vers la ferme du Rancho Silva…

 

           

-         Don Marco, que dois-je lui dire ?

            Plongé dans ses pensée, Don Marco revient douloureusement au présent. Blême, hésitant, il balbutie

-         Je… Il… Il peut venir dans mon bureau. Con-continue tes exercices, fils.

Personne ne peut savoir, cela doit être une coïncidence, oui. Le Don cherche dans sa mémoires les autres évènements de 1660, pour se rassurer, pour reculer l’inéluctable. Lui, sa femme et son fils vont périr dans les flammes de l’Inquisition. Traversant une petite cour, déjà en nage, Don Marco lève les yeux au Ciel « Théus vient moi en aide ».

Dans le bureau se tient un jeune castillan dans une simple tunique noire. Il salue le Don, et reste plusieurs secondes silencieux, semblant apprécier le malaise du Don.

-         De quoi voulez-vous donc m’entretenir à pareille heure ?

-         Vous le savez déjà, Don Marco… Vous vous rappelez sûrement cette après midi torride à Gajero… Une vraie fournaise

-         Que… Qui êtes vous ?

-         Cela n’a pas vraiment d’importance. C’est votre fils, là-haut je suppose. Beau jeune homme, et déjà aussi doué aux armes que son père, félicitation à vous et à votre femme, Don Marco.

-         Arrêtez ! Que voulez-vous ? Vous ne faites pas partie de l’Eglise Vaticine, encore moins de l’Inquisition

-         Exact. Mais si certains apprennent ce que je sais…

-         Personne ne peut savoir, il n’y avait personne ! PERSONNE !

Don Marco hurle presque, tandis que son interlocuteur reprend.

-         Mais si, Don Marco, et vous vous en souvenez sûrement… Les bruits de pas. Non, ce n’était pas moi, j’était trop jeune à l’époque, mais disons que les gens parlent, parfois.

-         Pourquoi me dites vous tout cela ? Par Théus, QUE ME VOULEZ VOUS ?

-         Laissez donc Théus en dehors de cela, Don Ochoa. Bien je suppose que vous ne voulez pas que votre beau fils finissent horriblement brûlé, n’est-ce pas ? Peut être pouvons nous trouver un arrangement.

-         Que voulez vous de moi ?

-         Dans quelques semaines, un envoyé de Montaigne va venir vous voir avec une proposition militaire. Vous l’accepterez.

-         Jamais ! Trahir mon pays à ces hérétiques, ces… Salir le nom de ma famille…

-         Bien, tant pis. Mes excuses pour le dérangement. Mes vœux de rétablissement à votre femme, quelle dommage qu’elle ne puisse avoir un enterrement Vaticine…

L’homme récupère un chapeau large, et se prépare à partir. Don Marco est fou de rage, mais il sait que tout est perdu, alors autant sauver ce qui peut encore l’être.

-         Attendez. J’accepte à une condition : je veux que vous me promettiez que mon fils et ma femme échapperons aux fanatiques d’Esteban Verdugo.

-         Vous avez ma parole. Bonne journée, Don Marco

Sur ces paroles, Bénito Gabinéro s’éloigne, laissant un Don Marco hébété par les évènements.