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            Bertrand Talbot a suivi la trace d’Ernstner, qui semblait lui même sur les trace de Jager pendant quelques jours, pénétré de la conviction qu’il n’allait retrouver qu’un cadavre. Quel homme pourrait résister à pareille troupe ? Et que faire, s’il ne retrouve pas Jager ? Tout retour est impossible… L’Empereur l’a mandé officiellement pour cette mission. Et il n’est pas connu pour sa mansuétude. Jetant un œil autour de lui, Talbot tente d’imaginer ce que serait la vie dans ce pays qui pourrait bien, bon gré mal gré, devenir le sien. Et peut-être serait-ce le mieux. Loin des ordres, loin de la mort et de la guerre, loin des messagers Porté de l’Empereur. Rentré comme éclaireur pour ne pas avoir à se battre, Talbot voit ces derniers moins son quotas d’horreur. Les habitant de Bugeja, hurlants, brûlés vifs, lui apparaissent encore chaque nuit… S’il ramène Jager, il pourra rejoindre une unité d’exploration, sur l’Archipel peut-être. Mais que peut bien vouloir l’Empereur d’un tel personnage ? Ne serait-il pas mieux pour tout le monde que Jager tombe sous les coups d’Ernstner ? Pour tout le monde, sauf Bertrand Talbot, conscrit, engagé dans une guerre qui l’effraie, meilleur dans ce qu’il déteste le plus, perdu dans une mission qu’il n’a jamais demandé, et qui pourrait si ça tombe lui valoir l’ « honneur » de travailler directement avec le Général de Trénancourt. Ou pire, avec Jager lui-même. Toutes ces pensées le quitte au moment où il lui semble apercevoir quelque chose sur la route. Se rapprochant avec précaution, Talbot voit au sol un homme horriblement mutilé, son cheval a moitié dévoré à ses côtés. Dans l’air flotte comme une odeur de bois brûlé. Jetant un coup d’œil circulaire, Talbot tombe sur la silhouette d’un homme assis contre un arbre, son cheval non loin derrière, un morceau de pain à la main. Estomqué tant par l’horreur de la scène que par la nonchalance de l’homme, Talbot le dévisage longuement, avant de se racler la gorge. Il voit alors deux yeux jaunes se tourner dans sa direction. Presque soulagé, Talbot pense : bien me voici donc au bout du chemin…

-         Herr Jager, je présume ?

-         Exact, jeune homme. Je vous déconseille de vous approcher de ce pauvre Ernstner, ils n’en n’ont peut-être pas encore fini avec lui.

-         C’est vous qui… ?

-         Non, voyons, je suis à peine armé. Vous ne sentez pas l’odeur ?

-         Si… Bien sur… Comme du bois, en plus odorant.

-         Chez nous, on l’appelle « bois noir », enfin, « Schwarzen ». Les créatures de la nuit connaissent bien cette odeur, elle les fascine…

-         Comment ?

-         Tsss… Ne soyez pas tant curieux. Mais sachez que quand du Bois Noir brûle, il vaut mieux se débarrasser de toutes les odeurs, de tout les vêtements imprégnés. Vous comprenez, cela les attire… Mais que fait un fringant jeune montaginois si loin de chez lui ? Vous n’êtes pas un ami de Herr Ernstner ? Non, vous avez une allure trop militaire, mais solitaire néanmoins. Espion ? Mais il n’y a rien à espionner, ici. J’y suis : Eclaireur. Je me trompe ?

Talbot a laissé Jager parler, tentant de se faire une idée de la situation. De toute évidence, le Chasseur ne craint plus rien. Cela voudrait donc dire que les hommes du groupe sont « hors d’état de nuire »… Morts, plus simplement. Cinq morts, de la main de ce petit homme à la voix douce, très, presque trop calme, capable de manger de bon appétit au beau milieu d’Eisen, un cadavre à moins de cinq mètres de lui.

-         Jeune homme ? Je ne sais même pas comment vous vous appelez ?

-         Bertrand Talbot, Eclaireur de Son Altesse l’Empereur de Montaigne.

-         Et que me vaut l’honneur d’une si noble visite ?

Un Eisenor revenu de tout, continue à penser Talbot. Un chasseur de créatures, mais aussi d’hommes, que rien ne semble toucher. Un homme qui a traversé la Guerre de la Croix en portant sur les événements un regard curieux, tout au plus. Intéressé peut-être même. Un homme, nulle doute, capable de mettre la main sur Alvaro Ochoa… Mais à quel prix ? Il est trop tard, de plus, bien trop tard, alors à quoi bon encore s’interroger ?

-         Helmut Jager, l’Empereur souhaite louer vos services, et votre prix sera le sien.

-         Et que ferais-je d’un si noble cadeau ?

Talbot comprend l’ironie de la chose. Il est impossible d’imaginer Jager à la retraite. L’homme n’a aucune ambition de pouvoir ou d’argent, peut-être juste la peur de l’ennui. Un de ces hommes qui mourra une épée dans le ventre, parce qu’il n’imagine aucune autre issue possible. Mais combien de temps faudra-t-il, combien de sang et de douleur ? Qu’importe à l’Empereur ces considérations ? Jager trouvera Ochoa, car il est bien pire que le rebelle Castillan, bien pire que Garnier même. Et si son prix est le sang, et bien ainsi soit il ! Talbot relève la tête vers Jager, et le regard jaune du Chasseur contient exactement ce qu’il craint. Soit il lui propose une offre intéressante, soit il finira comme Ernstner. Jager le sait. Talbot le sait. L’Empereur, maudit soit-il, le savait probablement depuis le début. Dès lors, horreur pour horreur, ne reste qu’à sauver sa vie en accomplissant la bonne volonté de l’Empereur.

-         Sa Majesté Léon Alexandre XIV vous fait également savoir que le gibier est de choix.

Il n’a pas eu besoin de finir sa phrase pour voir les yeux de Jager briller d’intérêt...