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Assis auprès d’un feu crépitant dans une caverne obscure du Rancho Torrès, un jeune castillan à la mine sombre grave avec précaution une barre supplémentaire dans une planche en bois posée à son côté. Aux alentours ressortent une vingtaines d’autres silhouettes, mais les bavardages habituels se sont tus, et chacun semble observer un silence de circonstance, solennel. Sa tâche achevé, le jeune homme laisse échapper : - 714 jours… 714 jours qu’ils sont ici, sur nos terres. 714 jours de TROP. S’il a commencé par chuchoter, sa voix montante s’est entendue dans toute la grotte, et l’écho en renvoie des centaines de réponses. Ayant accompli sa tâche, il se lève et contemple la petite bande réunie autour de lui. Chacun attend qu’il parle, bien que du groupe il ne soit ni le plus vieux, ni le meilleur soldat. Juste peut être le plus déterminé. Lorsque enfin il sort de son silence, son air enjoué est revenu, et c’est avec un sourire qu’Alvaro Ochoa, dont nul ici ne connaît la noble naissance, se tourne vers un vieillard assis dans un semblant de fauteuil. - Marcelo, où en sont nos réserves ? - En nourriture, nous avons tout ce qu’il nous faut. Les villages de Zarta et Milida nous ont donné plus que nous ne pourrons manger avant longtemps. L’intendant se mord les lèvres en finissant sa phrase. Ce qui lui paraissait une bonne nouvelle met en lumière leur plus grande faiblesse : ils ne sont guère nombreux. Le temps de ces pensées, le jeune leader a tourné son attention ailleurs. - Parfait, Maria, qu’en est il des blessés ? - Quelques contusion, mais aucune blessure grave, Théus soit loué. A cet instant, un garde fait quelques signes rapides au groupe. Immédiatement, toutes les lumières sont éteintes, tandis que des armes sortent doucement des fourreaux. Enfin sort une voix bien reconnaissable d’un des garde. - C’est bon, c’est seulement Montagno qui revient. « Montagno » est un petit homme aux traits plus montaginois que castillans, ce qui lui a valu son surnom. Seul Alvaro sait pourquoi il épousé leur cause, et il n’en parle jamais. Les autres sont plus que méfiants, mais force est d’avouer qu’il leur a rendu bien des services par son rôle d’éclaireur et d’espion. Il se tourne vers Alvaro sans même un salut. - L’armée montaginoise se fait envoyer du ravitaillement vers le sud, et leurs lignes deviennent fort longues. Demain à la mi-journée, un des convoi devrait être au niveau du pont sur la Sienda. - Des gardes ? - Entre six et huit, et probablement des soldats âgés ou blessés. - Comment vont les choses dans le sud ? - Mal. De Trénancourt n’est pas Montegue, mais c’est un général de valeur, et ses hommes sont nombreux et bien entraînés. Alvaro replonge dans ses pensée. Depuis un an qu’il tente de faire de la résistance face à l’envahisseur montaginois, il ne se rend que trop bien compte de la modestie de leur action. Un an que Montegue vole de succès en succès, détruisant toute armée sur son passage, faisant tomber des places fortes réputées imprenables. Rien ne semble pouvoir résister à l’obstiné montaginois. D’autant que la dernière tentative pour renverser le cours des choses s’est soldée par un échec cuisant. Non seulement l’armée de Montegue n’a pas été anéantie, mais le Diable Montaginois a capturé Ignacio Riviera, considéré comme le meilleur général de Castille. Mais jamais il ne montre ses doutes au groupe. Bien au contraire, il ne cesse de les motiver. Il faut dire que l’absence de blessure grave chez les siens à beaucoup aidé à la solidité du groupe. Se rendant compte que « Montagno » et les autres attendent une décision de sa part, il sort de sa rêverie. - Bien, nous irons donc demain. Miguel et José iront en reconnaissance, et Maria restera ici avec ceux qui ne peuvent pas suivre. Nul besoins de vous rappeler que notre objectif est la marchandise, pas de faire couler le sang. Le vieil intendant lève un sourcil broussailleux. - Un problème, Marcelo ? - Non, pas vraiment, mais nous n’avons aucun besoin de ce ravitaillement… Alvaro éclate de rire, et tape amicalement dans le dos de l’homme. - Ne t’en fait pas, d’autres que nous en auront sûrement le besoin. Autant profiter un peu de la présence de notre aimable voisin sur notre territoire pour manger à notre faim. Le reste du groupe rit avec lui, et l’ambiance se détend peu à peu. Montaigne a peut-être soumis le Rancho Torrès, mais pas les cœurs des castillans. |