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Par deux fois à nouveau le soleil a illuminé Montaigne. Charles marche
maintenant avec facilité, et commence à passer plus de temps debout que couché.
Son maintient commence également à lui revenir, et nul ne peut désormais
douter de sa noble ascendance. Marthe le voit rester pensif de longues heures,
tandis qu’il fait les cents pas derrière la maison. Elle lui a trouvé
quelques vêtements dans l’armoire de Paul, et s’il semble actuellement
s’en satisfaire, il est visiblement habitué à de plus amples habits. Avec
elle, il parle de tout et de rien, de la cour de Charouse et des beautés du
monde. Elle parle peu, quelque peu fascinée par cet homme que Théus est venu
un jour déposer sur le pas de leur porte. Il attend toujours que Paul soit là
pour parler de choses sérieuses, comme un signe de sa reconnaissance. Le pêcheur
lui ne sait que trop penser de cette histoire, sûr que Charles les oubliera dès
qu’il aura vu le Duc de Rogne, ce qu’il s’apprête à faire, comptant
partir dès le lendemain. Le bruit de la porte la tire de sa rêverie :
Paul est revenu avec la pêche du jour, et les deux hommes s’asseyent peu après
sur les paillasses.
- Chose promise, chose due, Paul. Je m’en irai dès demain, mais je
vous doit la fin de mon histoire, et comme je vous l’ai dit, je jure sur mon père,
le défunt Léon Alexandre XIII que je vous récompenserai comme il se doit. Or
donc, après le naufrage…
« Mon réveil est plus que nébuleux. Je sens confusément à la
fois le soleil me brûler les yeux, et une douleur légère à la jambe. Encore
secoué par les évènements de la veille, un temps relativement long passe
avant que je n’arrive à jeter un regard autour de moi. Je suis sur une petite
plage en sable, illuminée par le soleil naissant d’un matin d’été. Un
crabe semble tranquillement occupé à me picorer la jambe gauche avant de
s’enfuir précipitamment, surpris par mon mouvement. Je tente alors de me
lever, mais chaque mouvement m’arrache un cri de douleur bien inutile, à des
miles et des miles de toute terre habitée.
Incapable pour le moment de juger de mon propre état, je me résolut
alors à tenter un premier tour du regard. La plage se prolongeait sur plus
d’un kilomètre à main droite, mais une point rocheuse la terminait
abruptement de l’autre côté. L’île en elle-même semblait presque entièrement
recouverte d’une dense forêt. Aucune trace des deux marins n’étant
visible, je me décidai à appeler aussi fort que je le pouvais. Après une
dizaine d’essai infructueux, il ne me restai plus d’autre choix que de me
lever. Je me retournai sur le ventre, m’appuyant sur mes mains avant de
lentement me redresser. Enfin, je me tint à la verticale quelques instants,
avant que la tête ne me tourne horriblement, et que je retombe dans
l’inconscience.
A mon second réveil, la nuit était tombée, et une pluie froide me
piquait le visage. Mes muscles était moins douloureux, mais c’est la faim qui
me tiraillait à présent. A mon grand étonnement, je parvint à me lever sans
grande difficulté. Prenant alors conscience du froid mordant, je me dirigeait
vers la forêt proche pour y trouver un abri. Je restai incapable de dormi
jusqu’au petit matin où la pluie cessa enfin. Il était plus que temps de me
mettre en quête de l’ « Espadon » et des deux marins qui
m’avait embarqué. Je retrouvai sans mal ces derniers, près de la pointe
rocheuse. Leurs corps faisait penser à des pantins désarticulés. J’eu alors
une pensée émue pour ces deux hommes auxquels je devait certainement ma vie,
et qui l’avait payée de la leur… Mais ce choc n’était rien comparé à
celui que je devait ressentir en levant mon regard vers la mer.
L’éperon rocheux sur lequel je me trouvai faisait suite à une autre
plage, au bout de laquelle j’aperçu clairement un navire. Ma joie de cet
instant ne devait trouver d’égale que dans le désespoir qui allait suivre.
Courant dans la direction, ne pensant déjà plus qu’aux remarques que
j’avais à faire au capitaine, je m’arrêtai pourtant à une cinquantaine de
mètre, troublé par l’apparence du jadis fier navire. Il me semblait… différent,
sans que je puisse mettre de terme plus précis, si ce n’est une énorme
frayeur. Me rapprochant lentement, je pris conscience pas après pas de
l’ampleur du désastre.
L’ « Espadon Royal » était entièrement ouvert, et
seule la partie arrière s’était échouée, les bordées des pirates ayant
purement et simplement coupé le bateau en deux. De plus, l’amas de bois était
dangereusement penché sur un de ses côté, menaçant à tout moment de se
retourner. Sans trop y croire, j’appelais à plusieurs reprises, sans autres réponses
que le gentil bruit des vagues. Assommé par cette macabre découverte, je
m’asseyais sur la plage, et regardai le bateau s’enfoncer lentement dans les
eaux sombres, emportant avec lui mes derniers espoirs de revoir un jour mon
pays. Je crois que si le soleil n’était reparu à cet instant, je n’aurai
pas survécu plus de quelque jours. Mais les rayons chaleureux me rendirent un
peu confiance en moi, et je me sermonnais moi-même sévèrement. Moi, Charles
de Montaigne, fils et frère de Roi, m’abandonner au désespoir ? Cela ne
pouvait être. Qui sait, quelqu’un était peut-être coincé dans l’épave,
et celle-ci contenait certainement encore des objets intéressant, si je devais
passer ici même quelque semaine en attendant que passe un bateau.
Fort de ces résolutions, je m’avançai d’un pas prudent mais décidé
vers les restes du noble vaisseau. Une petite dizaine de cadavre était visible
aux alentours, les autres ayant probablement coulé en pleine mer. La structure
était fragile et bancale, mais je craignait qu’elle ne coule rapidement, et hâtait
donc ma visite. Fort heureusement, les longs jours de l’aller avaient été
pour moi l’occasion de voir chaque coin et recoin du bateau, et je m’y
retrouvai rapidement. Mon premier soucis fut d’essayer d’atteindre ma
cabine, heureusement située sous le château arrière. Le couloir qui y menait
était à présent presque vertical, et j’entendais le bois craquer
dangereusement. Je remerciai Théus d’avoir épargné mes quelques affaires,
et ressortait avec les quelques objets qui risquaient de m’être utiles :
mes notes pour mon frère le Roi, quelques Sol en or pour payer ma traversée,
et surtout mon sceau officiel marqué du rayon de soleil. Réconforté par la présence
de ces objets qui rapprochaient mes pensées de Montaigne et de mon rang, je
m’occupai alors de choses plus urgentes, ressortant du bateau avec largement
assez de nourriture que pour me sustenter durant mon « séjour »
bien involontaire sur l’Ile. Avisant le corps sans vie d’un des soldats, je
récupérai sur lui une rapière ainsi que son mousquet et quatre mesures de
poudre, juste au cas où. Armé et restauré, je ne doutait plus que la
providence mettrai sans tarder un honnête capitaine sur ma route.
Je profitai du reste de la journée pour me construire un abri de
fortune, et partait dès le lendemain en exploration, essentiellement pour
trouver un endroit où faire un grand feu qui ne manquerai pas d’attirer
l’attention. Je gravit ainsi les pentes de la petite colline rocheuse qui
formait le sommet de l’Île, d’où je put enfin avoir une vue complète sur
ma terre d’infortune. L’entièreté du terrain était couverte par une forêt
dense, excepté la fine bande blanche de la plage et le rocher au sommet duquel
je me trouvai. Je localisais sans problèmes différents endroit où placer mes
feux de détresse. Deux jours après, tous étaient allumé, et je passait ma
journée à passer de l’un à l’autre pour les réapprovisionner. Dans un ou
deux jours, une semaine tout au plus, je serai à nouveau à bord d’un navire.
Mais le temps eu raison petit à petit de mes certitudes, et pris dans
mes activités diverses, je ne du bientôt qu’au marques que j’avait fait
chaque jour de reconnaître le passage du temps. Une première semaine s’écoula
dans l’Île, à l’issue de laquelle je me mis en devoir de trouver
d’autres sources de nourritures, celles de l’ « Espadon » commençant
tout doucement à s’épuiser. Je montai alors de multiples collets, et partit
à la recherche de tout animal pouvant me servir de repas. Bien que me montrant
initialement spectaculairement maladroit dans cet exercice pour moi nouveau, la
chance me permit de ne pas mourir de faim en mettant sur ma route de petits
animaux moins adroits encore. Mais mon humeur devenait d’autant plus sombre
que les jours passaient. Certes, je me sentait maintenant en état de survivre
« le temps qu’il faudrait », mais la durée de ce temps commençai
à me peser.
Je n’ai que peu de chose à dire sur les mois qui suivirent, sinon que
je perdis rapidement l’habitude de faire mes marques, et que je ne pu donc
estimer le temps passé dans l’Île que bien plus tard. A mes grands espoirs
et grands désespoirs du début s’était substitué un fatalisme tranquille,
teinté d’un je ne sais quoi qui fit que jamais je ne me décidai à en finir,
même si ma conviction profonde était que je mourrai dans l’Île, à jamais séparé
de mes semblables. Dans cette partie du monde, les saisons elles-mêmes ne se
sentent que peu, et les jours succédèrent aux jours, tous pareils, sans
envies, sans espoirs…
Vous devez bien comprendre, dans l’état dans lequel j’était, que
quand apparu un jour une voile au loin, ma réaction ne fut pas immédiate. Si
j’avais été encore dans mes premiers jours d’exil, j’aurais crié de
bonheur et couru au plus vite auprès de l’un de mes feux. Mais le temps avait
tempéré mes ardeurs, et je me demandai un instant si je souhaitai vraiment
revenir dans ce monde qui me paraissait si loin. Je ne sais ce qui me poussai
pour finir à allez allumer un des grand tas de bois que j’avais monté lors
de mes premières semaines, mais je pense que le souvenir du jeune De Courtevoy
n’y était pas étranger. Lors, le bateau sembla effectivement me remarquer,
et une barque fut mise à l’eau. Surveillant le vaisseau, j’y reconnut un
navire marchand Castillan. Supposant que la présence d’un Prince de sang
Montaginois les gênerai quelque peu, je me décidai à ne pas trahir mon
identité, me contentant de me faire passer pour un jeune noble de famille
modeste. Quand le premier marin débarqua, apparemment assez étonné de mon
apparence, je pris conscience que les mois de vie en solitaire avait du
effectivement me transformer. Je pris mon meilleur accent, et abordai
l’officier dans sa langue maternelle. -
Je vous remercie de vous être arrêté, senor. Je me nomme Arnaud de
Courtevoy, sujet de sa majesté le Roi Léon Alexandre XIII, et le bateau sur
lequel je me trouvai à fait naufrage. Je demande la permission de revenir avec
vous jusqu’au premier port, étant acquis que je payerai mon voyage. L’homme parut plus que troublé,
et pour cause. Nous étions le 26 août 1668, j’avais passé plus de trois ans
dans l’Île, et la Guerre venait de commencer… Mais je n’en savait évidemment
rien. -
Hum… Certainement. Veuillez embarquer, seigneur, le capitaine demandera
certainement à vous voir. Si cela ne vous fait rien, pourriez vous me remettre
votre arme ? Les gens armés rendent les marins nerveux… Peu convaincu par cette
explication, d’autant que l’officier et deux de ses marins portaient des
mousquets bien visibles, je lui tendais néanmoins mon épée, avant
d’embarquer. Je ne comprenais pas cet accueil froid et gêné, mais j’étais
sur que les choses se clarifieraient dès mon entrevue avec le capitaine. Les choses devinrent
effectivement bien plus claires, mais pas dans le sens espéré. Apprenant que
nos pays était en guerre totale, et ne pouvant arguer de manière crédible ne
pas connaître cet état de fait, je me retrouvai ne plus ni moins que
prisonnier, même si je gardai le droit de me déplacer sur ne navire, tant que
je n’adressai la parole qu’aux officiers. C’est ainsi que je pu petit à
petit reconstituer les évènements divers qui s’était passés durant ma
longue absence. Mon frère devenu Empereur, l’agression de l’Eglise et la réplique
de Montaigne, sans compter la fin de la Guerre en Eisen… Nous fîmes quelques
escales, au cours desquelles je fut chaque fois bouclé à fond de cale. La
mansuétude de mes geôlier ne tolérait aucun risque. De nombreuses semaines
plus tard, nous arrivâmes enfin en vue du continent. Ce furent des sentiments
mitigés qui m’envahirent alors. J’étais plus prêt de chez moi que jamais
je ne l’avait été depuis trois ans, mais la prison m’attendait
probablement en Castille, surtout que je gardai encore caché sur moi ou dans
divers endroit du bateau mon sceau et mes Sols en or. Ce fut la vue des côtes
de Montaigne qui me décida. Il me fallait tenter quelque chose dès ce soir.
Mon isolement m’avait permis de perfectionner mes techniques de nage, et je préférai
la mort à la captivité, si près du but. La nuit, alors que seuls quelques hommes étaient debout, je récupérai mes maigres biens, enlevai mes bottes et m’approchai du bords du navire. La mer étant mauvaise, le bois du bateau craquait de toute part masquerai le bruit de ma chute. J’enjambai le bastingage, me pendit par les mains, pris mon souffle et sautait dans les eaux noires. Poussé par l’énergie du désespoir, je tentai d’avoir le dessus sur les éléments déchaînés, voyant devant moi une pointe rocheuse. Alors que je me préparait à la contourner, une déferlante me jeta directement dessus, et je perdit conscience… » Charles de Montaigne se tourna
vers le feu crépitant, et murmura le regard vide -
La suite, Paul, vous la connaissez… Mais il n’est plus temps pour les
regrets. Je part demain voir monsieur le Duc. J’ai besoin de cinq de mes Sols
pour mes frais de voyages ainsi que pour me retrouver une tenue digne, mais
prenez les cinq autres comme premier acompte de ma reconnaissance. Sitôt à
Charouse, je vous ferez parvenir de mes nouvelles. Paul regarda sans y croire le
Prince verser dans sa main les pièces en or. - Monseigneur, enfin je veux dire Votre Altesse est trop bonne… - Non, mon bon Paul, et comme je vous l’ai dit, il s’agit d’un simple acompte. Maintenant, si cela ne vous dérange pas, je souhaiterai passez une dernière bonne nuit ici, avant mon entrevue avec ce bon Antoine de Rogne. |