La Découverte
Remonter La Découverte L'Ambassadeur La Trahison Long Retour La route de Charouse

 

Un vacarme assourdissant se fait entendre alors que les embruns se brisent sur la côte déchiquetée de Trengard, dans le duché de Rogne. Paul le pêcheur regarde le spectacle familier mais toujours terrifiant. Tirant hâtivement sa petite barque sur la plage tandis que tombent des trombes d’eau, il se dit une fois de plus qu’il est resté trop longtemps. Mais il faut bien se nourrir…

Mettant le maigre produit de sa journée de travail dans un seau, il vérifie une dernière fois les attaches de la barque avant de se tourner vers le petit chemin. Dans moins d’une demi-heure, il devrait être au sec. Il frisonne, son corps semblant juste se rendre compte du froid mordant et de l’eau qui lui recouvre tout entier. Alors qu’il se met en marche, un bruit semble surmonter un instant les éclats de la mer.

- S’il vous plait…

Une voix, un appel. Paul s’arrête pour écouter, mais une nouvelle vague se fracasse sur les roches, rendant tout autre bruit inaudible. Il hésite un instant, puis s’avance précautionneusement sur une pointe rocheuse temporairement encore à l’abri de la furie des eaux. Mais rien ne semble sortir de l’ordinaire. Paul fut comme souvent le dernier à rentrer, alors qui pourrait se trouver ici ? Personne n’est assez fou que pour s’engager dans la Baie Brisée par un temps pareil. Pourtant, il lui a bien semblé entendre une voix…

Il fait encore quelques pas. Seuls quelques rocs émergés le séparent encore des vagues rugissantes. Il jette un long regard, puis se détourne. Aucun naufragé n’a jamais survécu aux tempêtes de l’endroit. Gardant les yeux baissés sur ses pieds pour éviter tout écart, il retourne lentement à la plage quand il se sent soudain agrippé. Une noire terreur s’empare de lui, se voyant déjà entraîné au fond des eaux par quelque monstre marin.

-         S’il vous plaît… Aidez-moi… Je suis…

Le vacarme couvre la suite, tandis que Paul voit la silhouette d’un homme, une main accrochée à sa cheville, tentant vainement de monter sur la berge. Au risque de se déséquilibrer lui aussi, Paul lui tend une main et parvient dans un dernier effort à le hisser sur la berge. L’homme être à peine conscient. Délaissant ses prises, Paul l’aide à se lever, le prend sous son épaule, et entreprend le long chemin du retour.

Quand sa femme Marthe le voit arriver, elle pense immédiatement à quelqu’un du village. Mais l’air de l’homme dissipe cette impression. Pendant que Paul explique les circonstance de sa découverte, elle l’installe sur une couche, et le recouvre d’une couverture en grosse laine. Paul ayant terminé son récit, elle examine le naufragé.

-         Il est dans un sale état… Je ne sais pas s’il passera la nuit. Il semble être inconscient. S’il est encore en vie demain, tu iras chercher le docteur en ville.

-         Qui peut bien-t-il être pour être arrivé sur la plage ? Tombé d’un bateau sans doute.

-         Ou poussé... Allons, il est temps pour nous aussi de dormir.

Paul, épuisé par sa journée de mer, tombe rapidement dans un sommeil sans rêve. Marthe, elle entend la respiration rauque de l’homme devenir lentement plus régulière. « Qui qu’il soit, celui-là vivra en tout les cas… » Elle s’endort sur cette pensée.

Mais le lendemain, l’homme est toujours très faible, incapable de se déplacer ou même de parler. Son mari étant parti tôt le matin à la ville, Marthe détaille de plus près leur pensionnaire. Sous la couche de boue se dessinent des traits fins, jurant avec la frustre tenue de marin. L’homme porte également un sac huilé sous ses vêtements. Après une petite hésitation, elle l’ouvre, pour découvrir plusieurs Sols en or, ainsi qu’une étrange petite bague. Celui-là n’est pas un pêcheur ni un marin se dit-elle en replaçant le contenu dans le sac. Quand Paul revient le midi avec le Docteur, celui-ci l’examine rapidement avant de déclarer :

-         Mmmmmh. Il a eu un méchant coup de froid, mais il se remet assez bien. Il ne m’étonnerai pas qu’il soit debout avant la fin de la semaine, s’il se repose bien. Qui est-ce, au fait ?

Avant que Paul ai le temps de répondre, Marthe lâche

-         Oh, c’est un des pêcheurs du village voisin…

Le docteur lui jette un coup d’œil en coin, puis hausse les épaules, prend son manteau et sors de la petite demeure, acquiesçant sans mot dire aux remerciements et promesses de payement de Paul. Une fois la porte refermée, le pêcheur se tourne vers sa femme

-         Une semaine… Nous n’aurons même pas de quoi le nourrir jusque demain, si déjà nous arrivons à nous nourrir nous même…

-         Ne t’en fait pas trop à ce sujet

Elle explique alors en quelque mots ses trouvailles à Paul. Celui-ci, d’abord furieux contre Marthe, fini par se calmer. Après tout, l’homme semble riche, et nul doute qu’il les récompensera de ce qu’ils ont fait, puis Marthe n’a fait que regarder.

Les jours suivants, Paul repart à la pêche, pour retrouver chaque soir la même scène : l’homme semble toujours aussi faible, et Marthe arrive tout juste à le nourrir. Mais il reprend petit à petit des couleurs. Enfin, le huitième jour, il s’assied douloureusement, et se tourne vers le couple de pêcheurs. D’une voix encore rauque mais ferme, il s’adresse à eux.

-         Je… Je vous remercie de tout ce que vous avez fait pour moi.

-         Ce n’est rien. Je suis Paul le pêcheur, et voici ma femme Marthe. Je vous ai retrouvé sur la plage… Comment-êtes vous arrivé là ?

-         La plage… Quel jour sommes-nous ? Où suis-je ?

-         Nous sommes le 22 avril de l’année de vérité 1669. Et vous êtes à Trengard, dans le duché de Rogne.

-         1669… Rogne…

L’homme semble replonger dans ses pensée, intégrant lentement les nouvelles. Après un long silence, il reprend la parole.

-         Guy de Rogne est-il toujours Duc ?

-         Non, notre bon Guy est mort voici plus d’un an déjà… Son fils Antoine est le nouveau Duc, monsieur… ?

-         Charles. J’en oublie la plus banale politesse, excusez-moi, mais tellement de choses se sont passés ces derniers temps que je ne sais plus trop où j’en suis. Savez-vous combien de temps il faut pour se rendre à la demeure du Duc ?

-         C’est à trois jours d’ici, mais le Duc ne reçoit que sur invitation.

Maintenant que l’homme a repris de l’assurance, Paul sent la situation lui échapper. Nul doute à présent qu’il s’agisse d’un riche marchand, peut-être même d’un noble. Son langage trahit déjà à lui seul son éducation.

- Mon histoire est longue, mais je vous doit bien cela. Soyez certains que je vous récompenserai au delà de vos espérances, une fois que j’aurai récupéré ce qui m’est du. Mon nom, comme je vous l’ai dit, est Charles… Charles de Montaigne.

Paul écarquille les yeux, le visage marqué par l’incrédulité. Charles de Montaigne !? Le propre frère cadet de l’Empereur, disparu en mer voici bientôt trois ans. Le pêcheur s’en souvient, car on lui fit des funérailles nationales.