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Points de vue, seconde partie : Esteban Verdugo
Quatorze jours seulement qu’ils sont a St Baldarezzo… Quatorze jours
déjà ! Loin de leur pays, envahit par les hérétique montaginois, loin
aussi des nombreux et loyaux vaticines oeuvrant pour l’Eglise, à St Cristobal
ou ailleurs. Chaque jour qui passe dans le petit monastère représente une
ouverture de plus laissée aux montaginois, un crachat de sorcier de plus à la
face de Théus.
Pour arranger les choses tant bien que mal, c’est un véritable
quartier général de campagne qui accompagne la délégation castillane. Une
vingtaine de messagers, la moitié de scribes, ainsi que plusieurs des
principaux conseillers des trois Cardinaux, et des hommes d’armes en nombre,
restés à une certaine distance suite à la demande de l’Abbé de St
Baldarezzo. Mais aucun d’entre eux n’est aussi occupé qu’Esteban Verdugo
en ces douces journées d’été. Dès l’aube, il dicte des messages, lit les
différentes réponses, s’informe sur la situation militaire, reçoit certains
de ses hommes pour leur donner ses directives. Ensuite vient l’heure de la
messe, et la première réunion du Concile. Puis l’incessant ballet reprend,
interrompu seulement par un rapide déjeuner. Ce n’est qu’une fois la nuit
bien avancée, après une dernière prière, que le Grand Inquisiteur prend
enfin un peu de repos.
Mais malgré ce déploiement d’activités, les choses vont trop
lentement. C’est pourquoi la veille, les trois Cardinaux castillans se sont réunis.
Pour tout important que soit ce Concile, ils ne peuvent laisser leur pays courir
à sa perte, au moment où ils sont le plus nécessaire. Ils ont pris la seule décision
possible : si aucun nouveau élément ne se présente, ils repartiront dès
le lendemain. Déjà, certains messagers ont reçu ordre de préparer le retour
de la caravane.
N’escomptant plus d’argumentations particulières, Verdugo est resté
une bonne partie de la matinée plongé dans ses dossiers, et plus encore dans
ses pensées… Bien sûr, comme chacun, et comme Teodoro De La Ciosa, il
souhaite que l’Eglise retrouve un berger. Mais deux choses s’y opposent. La
première, publique, ce sont les règles d’élections. La seconde, secrète,
est bien plus gênante : de part sa position, le Grand Inquisiteur seul
connaît la situation réelle de l’Eglise face aux sorciers. Si l’affront
montaginois l’a heurté, il a l’avantage d’être visible. Esteban craint
bien plus des actions d’infiltration de suppôts de Légion, parfois au sein
de l’Eglise même. Il fait surveiller de nombreuses personnes, mais ne peut
tout contrôler. Et en cette période de trouble, il en est parfois amener à
utiliser des méthodes brutale, au péril de son âme. Mais le temps lui est
compté. Dans deux ans au mieux, cinq ans au pire, il aura éloigné la plupart
des dangers. A ce moment il sera temps de reconstruire une structure plus proche
des volontés des pères fondateurs. Mais il est trop tôt. Et l’élection
d’un de ses pairs, De La Ciosa par exemple, pourrait être catastrophique.
Verdugo respecte le vieux Vodacci, mais le sait fort naïf quand aux voies du
monde. D’autant que si Esteban a pu s’assurer de son entourage, il
entretient de profond doute quand à celui de plusieurs de ses pairs. La main de
Légion est partout, et le temps de la paix n’est pas encore venu. Tant de
choses restent à faire, tant d’âmes à sauver ou à purifier…Alors s’il
faut, même au prix d’un conflit, empêcher l’élection anticipée d’un Hiérophante,
Verdugo le fera. De toute façon, il a la parole de Théus pour lui. Tandis que
le Cardinal conclut ses réflexions entre Gabriel Gabanas, son jeune aide de
camp. - Monseigneur, il y a là un homme qui désire vous voir. Il dit s’appeler Hermann von Bischoffein. Que dois-je lui répondre ? - Ah, parfait, faites-le entrer au plus vite, et laissez-nous. Vous me préviendrez un quart d’heure avant le début du Concile. -
Bien monseigneur. L’aide se retire, et entre une
silhouette massive. L’eisenor a plus de quarante ans, mais semble en
excellente santé. Une lourde épée pend à sa ceinture, et ses vêtements
larges laissent entrevoir une armures étincelante. - Monseigneur, c’est une joie de vous revoir. J’espère que tout se passe pour le mieux au Concile. - Je vous remercie, Graf Hermann. Oui, disons que ce Concile est satisfaisant, même s’il me tarde de revoir mon pays. - Sur ce point, nous somme pareils, monseigneur, c’est pourquoi j’ai profité de votre présence à St Baldarezzo pour vous rendre visite. Cela fait longtemps déjà que nous nous sommes vu, et certaines choses sont trop sensible pour le courrier. - Toujours droit au point. Cela me convient parfaitement, mes pairs m’attendent dans peu de temps. Où en est la situation en Eisen ? -
Bien, pour ce que je peux en dire… L’Eisenor se lance dans un
tableau complet et précis comme un déroulement de bataille de son activité,
en tant que Chevalier Inquisiteur, recherchant toute trace de sorcellerie ou de
paganisme en Eisen. Il détaille les projets, les surveillances, les quelques
actions ainsi que ses propres doutes. Le Cardinal écoute et questionne, tandis
qu’un scribe est discrètement entré pour prendre fidèlement note du
rapport. Quand le Graf se tait, Verdugo reste un instant silencieux, moitié par
politesse, pour laisser le temps à l’Eisenor de placer un éventuel complément,
moitié marqué par la forte personnalité de son interlocuteur. Le jour où
Hermann von Bischoffein mit son épée au service de l’Eglise fut vraiment béni
par Théus. L’homme est comme un roc insubmersible, même en ces temps
orageux. -
… il y a toutefois un fait que je voudrais porter à votre attention,
monseigneur Plongé dans ses pensées,
Verdugo ne s’est même pas rendu compte que son interlocuteur avait repris la
parole. - Je vous écoute, Graf Hermann. - Il ne s’agit que d’une idée, d’une crainte probablement non fondée mais… - Hermann, nous ne serions pas ici si je n’avais pas appris à respecter et à écouter attentivement vos idées. Poursuivez, je vous en prie. - Bien. Pour faire court, la situation à Freiburg m’inquiète. - Comme elle inquiète tout bon croyant, Hermann, confronté à un pouvoir qui semble mépriser l’autorité de Théus. - Certes. Mais il ne s’agit pas que de cela. Le problème qui me préoccupe est liée à ma sainte mission dans mon pays. Plusieurs des sorciers étrangers sur lesquels je me suis informé n’ont traversé Eisen que pour se rendre à Freiburg, où ils ne sont pas poursuivis. Jusqu’ici, la chose, pour toute déplaisante qu’elle soit, ne m’avait pas inquiété plus que cela. Après tout, il s’agit d’une réaction logique. Les sorciers sont activement pourchassé dans votre patrie comme dans la mienne, sévèrement surveillés ici en Vodacce, enfin disons peu libres de leurs mouvement, excepté en Montaigne, où peu de non montaginois iront chercher refuge, malgré l’appel de l’Empereur. Freiburg vient changer ce tableau. L’autorité en place ne condamne rien, l’Eglise y est impuissante et la population franchement plus curieuse qu’inquiète face à des capacités de sorcellerie. - Je pense voir où vous voulez en arriver : vous craignez que Freiburg réussisse là où Léon Alexandre semble avoir échoué, à savoir devenir un havre de paix pour ces suppôts de Légion. - Non, monseigneur, je craint bien pire. Je crains que ces mouvements hasardeux vers Freiburg soient concertés, et que s’organise une véritable cabale de sorciers de différentes nations. A l’endroit même où une action est pratiquement impossible. - Avez-vous des éléments confirmant ces hypothèses ? - Non, mais Théus en soit juge, j’en ai l’intime conviction. - Bien. Je vous remercie, Hermann, je vais prendre cette menace très au sérieux, je vous ferai parvenir des informations dès que possible. Continuez votre travail, Hermann, vous êtes une chance pour nous tous. -
Merci, monseigneur, et au revoir. Après un salut martial,
l’Eisenor se retire, laissant à nouveau le Cardinal perplexe., Et si Hermann
von Bischoffein avait raison ? L’homme n’a rien d’un alarmiste. Bien
au contraire, il est d’ordinaire d’un calme monacal. Il lui faut plus
d’informations. Verdugo pense immédiatement à Jean du Lac. Le jeune et
talentueux montaginois est justement à Freiburg actuellement. Mais le Grand
Inquisiteur ne peut le charger d’une mission supplémentaire. Il faudra
trouver quelqu’un d’autre. Hermann von Bischoffein, Jean du Lac, Ronaldo
Riviera… Il murmure une courte prière pour ces hommes valeureux et dédiés.
Sans eux, il ne pourrait rien faire. Et quelques-uns de plus de cette trempe
pourraient bien tout changer… - Monseigneur, le Concile commence dans un quart d’heure. - Bien, merci Gabriel. Prévenez mes deux estimés compatriotes que je les rejoins tout de suite. - Le Cardinal Aznar semble être d’ors et déjà en réunion, monseigneur. - Intéressant. Alors même que nous préparons notre départ. Et avec qui échange-t-il de si urgents arguments ? - Avec notre hôte, le Cardinal Teodoro de La Ciosa. - Mmmmh. Bien, il semble que cette ultime séance sera plus animée que prévu. Parfait, nous nous rejoindrons alors en salle du conseil. |