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Points de vue, troisième partie : Erika Durkeim
A côté de leurs hôtes Vodacci ou de la délégation Castillane, la
représentation d’Eisen se fait bien discrète… Si l’on peut réellement
parler de représentation… Erika Durkheim n’est accompagnée que de Werner
Kader, l’ami de toujours, et de deux hommes de maison, pour s’occuper de ses
affaires, peu nombreuses au demeurant… Laissant ses réflexions vagabonder, la
Cardinale y voit un rapprochement avec sa situation au Concile. Jusqu’ici,
elle ne s’y est que peu exprimée, si ce n’est pour faire valoir l’urgence
de la chose. Mais cela, d’autre l’ont dit aussi, et Durkheim se sait moins
versée dans les textes que Aznar ou même De La Ciosa. Cette 27ième
réunion du Concile risque à ses yeux d’être aussi ennuyante que les précédentes.
Depuis deux semaines, Vodaccis et Castillans argumentent sans fin. Après les déclarations
de bonnes intentions, de pures forme selon elle, les débats se sont petit à
petit rapprochés de la question essentielle. Mais entre temps, milles petit
problèmes ont du êtres réglés. Et tout cela met du temps, beaucoup trop de
temps. Déjà, les Castillans ont annoncés leur départ prochain. Erika en est
presque soulagée : un travail de titan l’attend encore dans son pays, et
le plus tôt sera le mieux. Mais s’il reste une seule chance, elle doit la
tenter. Tournant les yeux vers la route sinueuse partant plein nord, elle
murmure « Par Théus, Stephan, hâtez-vous… ».
en cette fin de journée, les rayons du soleil jouent sur les ombres des
arbres, à l’orée de la forêt proche. A chaque instant, la Cardinale croit y
voir deux silhouettes massives, encadrant un petit homme voûté… Mais la
route reste désespérément vide. Demain, ce soir même il sera probablement
trop tard. -
Votre Eminence, il va être temps de vous préparer. Werner Kader est entré dans le
petite pièce dévolue à la Cardinale, s’exprimant comme à son habitude avec
le respect appuyé d’un homme rompu à une vie d’obéissance. - Werner… Ils ne seront pas là à temps… Mêmes s’ils arrivent demain. - Théus seul le sait, votre Eminence, et l’espoir vient souvent là où on ne l’attend pas. Vous n’êtes pas seule à souhaiter une issue à ce Concile. - Je ne comprend pas De La Ciosa. Il est d’une intelligence rare, et ferait probablement un très bon Hiérophante, s’il ne rentrait pas tant dans le jeu de Verdugo ! Comment peut-il s’y laisser prendre ? Je croirai presque qu’il le fait exprès. -
N’oubliez pas, que ce que vous appelez « Jouez le jeu de Verdugo »
correspond à suivre les procédures établies par vos prédécesseurs. Nul ne
peut nier leur sagesse… Comme a son habitude, Kader
prend le contre-pied des affirmations de Durkheim. C’est un des rares à oser
et c’est pour cela que de tout ceux qui ont voulu la suivre, lui seul est resté.
Durkheim n’a que peu d’intérêt pour la servilité. - Mais ils vivaient à une époque très différente ! Les enseignements des Prophètes étaient proches, le mouvement Objectionniste inexistant et les sorciers rares et cachés. On avait le temps alors pour les finesses de procédure ! Nous ne l’avons pas. Le monde a changé, et ils semblent tous le nier ! - Le monde a changé certes, mais non notre engagement et nos croyances. En ces temps difficiles, nous devons au contraire nous montrer d’autant plus ferme sur ce en quoi nous croyons. - Vous citez Verdugo. - Lui et des milliers de braves gens et de bons croyants. Le cas est complexe, et aucune solution ne peut être prise à la légère, votre Eminence. Néanmoins, peut-être une porte s’ouvre-t-elle. Aznar et De La Ciosa semble avoir trouvé quelque chose… - Quoi donc ? -
Vous ne le saurez qu’en vous rendant au Concile, votre Eminence. Vos
pairs vous attendent.
Le Concile…
Quand elle s’est engagée dans les ordres, elle n’aurait jamais imaginer se
retrouver dans une telle situation… Et encore moins y participer. Si, comme
tout ses pairs, elle souhaite que l’on élise au plus tôt un Hiérophante,
elle se distancie d’eux sur deux points : d’abord, son unique intérêt
serait d’être déchargée d’une série de tâches, notamment vis à vis des
autres Cardinaux, ensuite, elle ne désire en rien cette position. Elle a donc
à priori tourné son choix vers l’homme à son sens le plus capable, à
savoir Teodoro de La Ciosa. Au plus tôt il sera élu, au plus tôt elle pourra
retourner sur le terrain, où sa présence est cruciale. Arrivée à l’entrée de la
petite salle, servant d’ordinaire de lieu de réunion pour les moines de St
Baldarezzo, elle dévisage les sept hommes et l’unique femme présente,
Angelina Delasi. L’ambiance est lourde, particulièrement au sein d’une délégation
castillane fort silencieuse. Tandis qu’après un rapide salut, Erika prend sa
place, l’Abbé de St Baldarezzo prend la parole. -
Je déclare ouverte cette vingt-septième séance du LIVième
Concile en ce 1669 Anno Veritas. Je pense que nos amis Castillans ont une
communication à nous faire. Frère Esteban, je vous laisse la parole. Durkheim apprécie à nouveau le
sens politique tranquille du vieux Vodacci : en les recevant chez lui, dans
ce petit monastère, il gomme la plupart de leur différences. Ils sont peut-être
les neuf personnes les plus importante du monde Vaticine, mais dans cette pièce,
ils sont juste comme neuf humbles moines. -
Je vous remercie, Frère Teodoro. Bien que cette décision soit pour nous
terriblement douloureuse, mes compagnons et moi-même repartiront pour la
Castille dès demain matin. Vous comprenez certainement pourquoi. Néanmoins,
notre tâche est trop importante que pour être laissée en plan. Nous proposons
donc de nous revoir dès le printemps, et nous serions honorés de vous
accueillir à St Cristobal. Un long silence accueille cette déclaration. Même si personne n’ignorait cette décision, le poids de l’échec se fait soudainement ressentir. Tous leurs efforts sont réduit à néant. Seul De La Ciosa et elle semble rester de marbre. Après tout se dit Durkheim, le plus important est probablement de retrouver ses activités diverses. Néanmoins, si près du but… Les palabres reprennent, tandis que chacun regrette mais comprend la décision des Castillans. Une fois faites les différentes déclarations, De La Ciosa reprend la parole. -
Frères et Sœurs dans Théus, il nous reste donc une après midi pour
achever ce Concile. Aux hommes et femmes de bonne volonté, rien d’impossible,
et nous pouvons surmonter cette épreuve ensemble. Notre mère l’Eglise fut à
mainte fois secouée par de terribles évènements, mais si certains de ses
serviteurs ont disparus, notre Foi est toujours aussi forte. Ayons un pieux
souvenir pour les méritant qui ont, après la défaite du Hiérophante Damné,
reconstruit ce que tant d’incroyant avaient cru détruit pour toujours. Nous
avons soufferts, mais nous nous sommes toujours relevés. Et l’époque que
nous vivons, pour difficile qu’elle soit, est une pierre de plus sur le chemin
menant à Théus. Lors donc, moins d’un an après cette terrible guerre, un
nouveau Hiérophante fut élu, et la période qui suivit fut l’une des plus
glorieuse que notre Eglise ait connue, avec notamment de grandes
constructions… Durkheim a perdu le fil exact
des propos de l’Abbé. Mais non leur sens profond. La seule question est de
savoir ce qu’il cherche, en rappelant des faits connus à priori de tous. -
… sommes aussi dans une période noire, mais demain, grâce à
l’action de tous, se relèvera une communauté de Théus plus forte et plus
unies que jamais. Et le Hiérophante en sera la clef de voûte. Une impatience imparfaitement maîtrisée
se fait sentir dans l’assistance. De La Ciosa semble parler comme s’ils
allaient élire quelqu’un dans les heures à venir. Aznar intervient, après
avoir respectueusement demandé la parole. - Cardinal De La Ciosa, je me permet de me joindre à vos souhaits. Hélas, nous devront encore porter sur nos épaules une lourde charge avant d’en arriver aux temps que vous décrivez. Il y a un deux seulement, deux an déjà, que notre Frère Etienne a disparu, et les règles d’élections ne permettent pas de remplacer un Cardinal avant cinq ans. - Vous avez bien évidemment raison. Ces temps seront effectivement difficiles. Les hérétiques ont une nouvelle fois mis pied en Castille. - Et cela n’était plus arrivé depuis plus de 600 ans. Nous ne pensions certainement pas voir arriver la main de Légion de cette direction. -
Nous sommes si dispersés, au point de ne pouvoir venir en aide à nos frères
en Eisen, qui ont désespérément besoin de notre soutien… La conversation repart sur les
différents sujets du moment : la division de Vodacce entre des Princes
certes Vaticines de parole, mais peu de droit, le mouvement Objectionniste, la
Church of Avalon, la guerre en Castille. En récapitulant ces faits, la
Cardinale d’Eisen ne peut s’empêcher de penser qu’ils vivent un époque
exceptionnelle… Une époque d’exceptions. Verdugo est fort silencieux, mais
regarde très attentivement Aznar. Le Concile a retrouvé son rythme habituel,
avec un respect de façade, mais avec des positions qui ne varie guère. De La
Ciosa est moins loquace, laissant ses pairs s’exprimer, se contentant de
raviver la discussion par moments. Une époque d’exception…
Voilà où De La Ciosa veut en venir… Nul doute que c’est de cela que lui et
Aznar ont parlé. Chacun semble avoir fait cette conclusion, car les apartés
divers cessent petit à petit. De La Ciosa reprend la parole. -
Comme je le disait, et comme plusieurs d’entre vous l’ont souligné,
nous vivons des moments difficiles. Et je pense qu’en ces moments, la sagesses
de nos prédécesseurs nous est d’autant plus nécessaire. C’est pourquoi
j’ai été réexaminer les actions de l’Eglise lors de mois qui ont suivi la
victoire sur le Damné. Comme vous le savez certainement, neuf de ses cardinaux
l’avaient suivi dans sa folie… Pour Durkheim, les choses sont
maintenant claires, et peu de ses pairs semblent écouter le monologue du vieil
Abbé. Si une majorité des Cardinaux approuvent le fait qu’ils sont dans une
époque « d’exception », alors rien ne pourra les empêcher d’élire
immédiatement un nouveau Cardinal, Castillan probablement. Or, il viennent de
passer plus d’une heure à dénoter le caractère difficile de la période. Le
sujet est évidemment amené par De La Ciosa, mais Aznar doit y être pour
quelque chose, au vu des regards que lui lance Verdugo. Alors, tout ne serait
pas perdu… C’est alors que tout semble joué que le Grand Inquisiteur prend
enfin la parole. Son ton est toujours aussi calme et humble. -
Cardinal De La Ciosa, estimés pairs, vous avez mille fois raisons. Cette
période mérite sans aucun doute le terme d’ « exceptionnelle »,
et les rapprochement fait par mon ami et compatriote Matéo me semble plus
qu’intéressantes. Je voudrais ceci dit solliciter son avis sur une ou deux
questions de pure forme. Aznar est encore confiant, mais
une certaine nervosité se fait sentir dans sa voix. Si un Hiérophante n’est
pas élu aujourd’hui, Erika ne souhaiterai pas être à sa place :
Verdugo fait la pluie et le beau temps en Castille, et Aznar en fera
certainement les frais. - Mes modestes connaissances historiques sont à votre disposition, Frère Esteban. En quoi puis-je vous renseigner ? - Les procédures d’élection datent de bien avant le Troisième Prophète… - C’est exact. Elle ont été crées peu après la mort du Premier Prophète, lors de la constitution de l’Eglise initiale par Matthéus et les neuf autres Témoins. - Vous avez, si je ne me trompe, publié un ouvrage sur le sujet. Pouvez-vous m’en rappeler les grandes lignes ? - Certainement. Disons que plusieurs sources me laissent penser que ces règles furent écrite par le Témoin Matthéus lui-même. Ayant eu des discussions sur le sujet avec de nombreuses personnes, dont certains sont dans cette salle, je trouvais intéressant de mettre ce modeste savoir à la disposition de l’Eglise. -
Vous êtes trop modeste, Frère Matéo. Ce travail a reçu la bénédiction
du Hiérophante lui-même, loué soit-il. Durkheim se perd rapidement dans
le dialogue. Verdugo semble littéralement encenser Aznar pour son travail, de
fait apparemment peu contestable. L’Inquisiteur s’est tourné vers De La
Ciosa. - Je suis quelque peu étonné, Teodoro, de vous voir prêt à aller ainsi contre la volonté d’un, voir du Premier Témoin. - Je vous comprend, Frère Esteban, et jamais je n’aurait une telle audace si les circonstances n’étaient pas aussi dures. - Néanmoins, n’est-ce pas créer un précédent dangereux ? Transgresser la parole d’un Témoin ? -
Certes. Mais il se trouve qu’il ne s’agit pas exactement d’un précédent… De La Ciosa, puis Aznar,
relatent alors les circonstances dans lesquelles le 42ième Hiérophante
fut élu, par cooptation non d’un mais de neuf Cardinaux. Verdugo écoute
patiemment les argumentations. La salle attend l’inévitable conflit. - Les Témoins, reprend l’Inquisiteur, sont, à une exception près, notre première source d’information sur les actes et paroles des Prophètes, et par delà sur les volontés de Théus. Malgré la pertinence de votre démonstration, il me semble dangereux de violer leurs édits, particulièrement celui du premier d’entre eux. - Nous savons tous cela, Frère Esteban, reprend De La Ciosa. Néanmoins, il me semble que si les édit de Matthéus doivent effectivement être la base de notre action, ils furent établis à une époque bien différente. Il va de soit qu’une procédure comme celle que je propose se doit de rester un cas d’exception. Je pense que telle fut également l’argumentation de ceux qui décidèrent en 1006 AV d’élire un nouveau Hiérophante dont l’Eglise avait cruellement besoin. -
Vous parlez d’argumentation. Pourriez-vous, Frère Téodoro éclairer
le Concile sur la teneur de celle tenue par nos augustes prédécesseurs ?
Ou vous même, Frère Matéo, puisque chacun ici reconnaît votre expertise en
ce domaine ? Alors que De La Cisoa adresse un
regard d’encouragement à Aznar, le visage de celui-ci à blêmi un instant,
avant de se fermer. Durkheim le sent en plein conflit intérieur : il doit
savoir quelque chose d’important, mais qui briserai toute son argumentation.
Après quelque seconde d’intense réflexion, c’est d’une voie monotone,
presque éteinte, qu’Aznar répond au Grand Inquisiteur. - Le Concile de l’époque ne comprenait plus qu’un unique Cardinal, assisté de dix évêques. Pendant de nombreux jours, ils ont réfléchi ensemble à une solution conforme aux édits de Matthéus. Ne parvenant pas à une conclusion satisfaisante, il s’en ouvrirent à de nombreux membres éminents de l’Eglise, cherchant un conseil ou une piste quelconques. Et l’une des ces personnes leur fourni l’idée que nous vous avons présentée… - Pourriez-vous, Frère Matéo, avoir l’obligeance de rappeler à ce Concile qui fut cette personne providentielle ? - Il s’agit, comme vous le savez certainement, du Troisième Prophète. -
Je vous remercie. Je ne peut que rejoindre la démonstration de Frère Téodoro
quand à la cooptation des Cardinaux en 1006 AV. Mais je pense que Frère Aznar
a mit la lumière sur un fait essentiel : cet arrangement fut possible non
grâce à des ‘circonstances exceptionnelles’, mais grâce à la présence
d’une autorité supérieure à celle de Matthéus, à savoir le Troisième
Prophète lui-même, dont les paroles et actions sont précisément rapportées
par de nombreuses archives. Je suis certain que nul ici n’aura l’audace,
quelque soit les circonstances, et nous savons à quelle point elles sont
difficiles, de se considérer comme plus proche de Théus que Matthéus. Seul un
Prophète le pourrait, et si le Quatrième approche, il n’est pas encore présent
pour nous guider. Théus puisse nous accompagner dans les temps difficile qui
nous attendent, Frères et Sœurs dans l’Eglise. Le Concile se termine peu après
par la traditionnelle cérémonie d’action de grâce, célébrée par De La
Ciosa. Chaque délégation se prépare au départ dans un silence assourdissant.
Verdugo peut être un monstre sans pitié, pense Durkheim, mais le sous-estimer
fut commettre une grande erreur qu’Aznar pourrait bien payer cher, dès leur
retour en Castille. Elle manque de trébucher sur son compagnon de toujours. Un
Werner Kader essoufflé lui annonce d’une voie rauque. - Il sont arrivés. Et il est avec eux… - Quand ? Où sont-ils ? - Dans une aile du monastère. Il… Il est très faible. Les moines s’occupent de lui mais… Nous ne savons pas combien de temps il tiendra. C’est un vieil homme, et le voyage l’a terriblement diminué. |